Vidéo publiée à l’occasion de la journée internationale des migrants proclamée par l’ONU, le lundi 18 décembre 2023
Août 2022, première résidence à Tanger des rencontres photo “Face à la mer”.
L’occasion pour nous de réunir 2 photographes des 2 rives de la Méditerranée.
La première a été sélectionnée parmi les lauréats de FALM.
Céline Croze, née à Casablanca, Lauréate du prix Révélation 2019, devenue Prix Nadar 2022.
Le deuxième, Antoine d’Agata.
Antoine a été choisi parce qu’il partage les valeurs que nous défendons, parce qu’il se préoccupe, avant tout, de ceux qui vivent en marge de nos sociétés, parce qu’il développe une pratique autonome qui, sans cesse, questionne les fondements de la photographie documentaire.
La résidence à Tanger, en août 2022 lui a permis de prolonger et d’approfondir sa connaissance et son expérience de la situation des migrants, dans le nord du Maroc et plus généralement autour de la mer Méditerranée, initiée il y a plus de 20 ans.
Quel drame de se rendre compte que notre territoire méditerranéen est devenu le cimetière des invisibles. Les morts se multiplient chaque jour.
Les communautés africaines et de la région MENA qui sont arrivées jusqu’au détroit sont méfiantes, isolées face à la mer, face à elles- mêmes. Comment avoir confiance après tant de disparus en mer… Il n’y a plus de mots.
Les morts se sont multipliés à la même mesure de l’indifférence mondiale. Cette guerre que nous vivons, qu’ils vivent. Nous, nous ne faisons que compter les corps visibles.
Ce déplacement de populations issus de conflits, de guerres économiques et sociales et aussi du dérèglement climatique est plus que jamais difficile à raconter en image. Elle est devenue par force invisible.
L’un des objectifs de la restitution de la résidence était de “donner à voir” de l’importance des risques et des décès en mer Méditerranée.
A travers ses propres mots, Antoine a retracé le parcours des migrants. Une trajectoire fantôme et dangereuse dont l’issue est souvent synonyme de mort.
Mais alors, comment témoigner en image de l’invisible?
Un biais inhabituel, celui de l’IA, s’est imposé en représentation de l’injustifiable et de cette nouvelle arme « géopolitique » aux portes de l’Europe.
L’utilisation de l’intelligence artificielle – l’IA – a permis la construction tangible d’un récit fondé sur de faits réels mais non perceptibles. Réalisée par un photographe protagoniste, elle permet d’une nouvelle manière de dire et de voir.
Une telle restitution, manifeste pour une intelligence artificielle au service d’une photographie documentaire ou d’un photojournalisme “augmenté”, préfigure t-elle du monde de l’information à venir ?
Cette première restitution de la résidence FALM 2022 est une bâche de 15 mètres sur 8,5 mètres réalisée par Antoine d’Agata. Elle s’intitule « Instinct Animal » et est composée de 1260 images générées par l’IA avec un extrait de texte écrit par Antoine d’Agata, basé sur une collecte de témoignages.
« Instinct Animal » est présenté du mercredi 6 au lundi 9 septembre 2023 sur la façade de l’immeuble face au grand café de la poste à Perpignan. Cette initiative a été permise grâce à l’accord du propriétaire du bâtiment et sous le contrôle de la société d’échafaudage.
En complément des témoignages, Antoine d’Agata a souhaité apporter l’éclairage suivant :
« Il doit nous être intolérable de vivre dans le confort et la conscience muette de frontières devenues cimetière d´indésirables et d’invisibles.
Parce que les circonstances de cette mort qui, chaque jour, se répète, sont désespérément prévisibles.
Communautés fragiles et individus isolés arrivent jusqu’au détroit, face à la mer, au destin sordide, abandonnés au sort qui leur est réservé.
Les disparitions- innombrables – restent, de fait, hors de portée des outils et agents de la communication tandis que les migrants continuent de croire, d’espérer, d’essayer.
Les froides statistiques de décès – chacun tragique -, de dizaines de milliers d’êtres déplacés par les innombrables guerres économiques et sociales, conflits ou dérèglements climatiques, se sont révélées impuissantes à changer le cours des choses.
Les chiffres, les mots, les images ne disent pas la mort dans sa triviale réalité.
Devant l’impuissance à rendre compte de l’état des choses et le refus de rendre des comptes sur l’horreur d’une hécatombe dont nous sommes les complices tacites, il faut donner une forme au vide.
L’enjeu du geste est politique, il ne s’agit plus de photographie.
La guerre que nous ignorons, des femmes et des hommes la vivent chaque jour, dans leur chair, et le silence est insupportable.
Nous nous sommes condamnés, au mieux, à compter les corps.
Et la mort se répand, à la mesure de notre indifférence.
Au-delà de pleurs stériles ou résignés sur l’inéluctabilité de ravages causés par l’intelligence artificielle – synonyme de mort -, sur l’existence pauvre, le devoir de vivre.
Images fausses et verbe statistique sont rappel à l’ordre, injonction de retrouver nos sens, affirmation de l’urgence d’une réaction instinctive, animale au silence de l’autre, et à son absence.
Au-delà du regard, au-delà de la forme, au-delà de l’idée : l’expérience du monde, et l’usage qui en est fait.«